Je crois que j’ai pris un peu trop d’assurance à force de marcher dans les pas de Rémielle, osant accepter un rendez-vous en dehors de la zone protégée. Elle m’a affirmée avoir un ‘‘truc’’ à faire avant notre petite séance de dégommage de mort-vivants, mais j’ignore totalement de quoi il s’agit, aussi mon ventre commence à se nouer. Et si elle étendue quelque part à moitié morte, prête à se muter en cadavre ambulant ? Et si elle a eu un empêchement ? Et si elle n’arrive pas assez vite ? Et si c’est un test est qu’elle m’observe du haut d’un arbre en attendant que je m’enfuie en courant ? Et si elle a fait ça pour me perdre dans la nature, espérant que je me fasse dévorer le mollet par un tronc de zombie ? Parce que je suis à peu près certaine de lui taper sur le système à la suivre partout comme un petit toutou, la harcelant quotidiennement pour qu’elle me dispense son savoir-faire en matière de combat. Je sais bien que pas mal de gens me prennent pour un vrai boulet malgré ma bonne volonté, et qu’ils m’abandonneraient sans une once de remord en cas de nécessité. En tant que Barbie je veux dire, parce qu’il est évident que Seena elle, est davantage appréciée comme compagnon de mission. Tss, si ce n’est pas tragique d’être laissée pour compte derrière une personnalité qui squatte MON existence. Enfin bon, au moins je suis toujours en vie, on ne peut pas tout avoir. Je frissonne légèrement malgré la chaleur pesante qui m’entoure, refermant mes doigts sur ma perceuse à clous. Si y’en a un qui approche, je lui refais le portrait version Frankenstein. Je prends un air vraiment menaçant relativement convainquant, mais les zombies s’en foutent pas mal. Que tu sois en fauteuil roulant ou armée d’un bazooka, ils vont quand même se jeter sur toi en tendant les bras. Ce qu’ils sont cons, quand on y pense. Comment des créatures aussi stupides peuvent être venues à bout de l’humanité ? Parce qu’on peut dire ce que l'on veut, notre espèce est en train de s’éteindre, puis ces monstres vont disparaître à leur tour par manque de nourriture. M’enfin je m’en fous, ce n’est pas une raison pour se laisser mourir, et je compte bien profiter des derniers instants qu’il me reste avant de passer l’arme à gauche. Je me demande si certaines personnes qui puent le pognon sont tranquillement enfermées dans un Bunker à l’heure où moi je traîne près d’une ferme angoissante, certainement quelques présidents qui ne le méritent pas forcément plus que nous. Et ces porcs s’empiffrent pendant qu’on crève de faim parce qu’ils ont prévu leurs cultures personnelles. Si ça s’trouve, à l’intérieur de cette ferme qui était en vérité une maison secondaire, une trappe mène à la cachette secrète de l’ancien Président des Etats-Unis. Ouais, si ça s’trouve …

Mon regard se fixe sur la vieille porte en bois qui grince, et mes doigts se referment sur la poignée que j’abaisse doucement, le cœur battant à tout rompre. Cela dit je stoppe mon geste un court instant, songeant qu'il est probable qu’au lieu d’une trappe magique, je me retrouve nez à nez avec une dizaine de joyeux zombies enfermés là par un esprit ingénieux. Il faudrait peut-être que j’attende Rémielle, non ? Non, comme d’habitude ma curiosité l’emporte sur ma raison, ce qui me vaut généralement de me retrouver dans une merde sans nom. La porte s’ouvre sur l’obscurité, mais je distingue des compartiments qui ressemblent à des box dans lesquels les chevaux sont généralement placés. Je plisse mes paupières pour m’habituer à la pénombre, avançant de quelques pas afin d’identifier l’ombre suspendue dans les airs face à moi. Je mets quelques secondes à comprendre qu’il s’agit d’un humain ayant décidé de se pendre joyeusement à la poutre vieillissante, et je retiens un haut le cœur en m’approchant du pauvre diable. La mort ne m’effraie plus comme avant, et les cadavres ne me font pas beaucoup d’effet lorsqu’ils sont encore entiers comme celui-ci. Il y a bien une odeur relativement insoutenable que je tente de contrer en plaquant la manche de mon gilet contre mon nez, mais à part ça, rien de bien extraordinaire. C'est triste quand même, d'être immunisée contre les macchabées. Je dégaine mon pistolet à clous afin de toucher le corps qui se balancer légèrement sous la pression, poussant un petit grognement de dégoût. Berk, c’est quand même dégueu vu d’aussi près. Je m’apprête à le laisser en paix lorsque le cadavre se détache pour venir s’écraser sur moi, suscitant un hurlement strident susceptible d’attirer tous les zombies à des kilomètres à la ronde. Je me dégage en criant de plus belle, activant mon arme sans m’en rendre compte et gaspillant quelques clous rouillés qui s’enfoncent dans la chair du fermier pourtant bien mort, courant en direction de la porte comme si ma vie en dépendait. Je continue de gémir lorsque je rejoins enfin le soleil, jetant un regard en arrière pour vérifier qu’il n’a pas été transformé en mort-vivant. Mais non, il reste allongé sur les morceaux de paille tandis que je heurte une silhouette dans ma course vers la lumière. Oh putain je vais crever cette fois, et le fermier va devenir un zombie à cause de moi lui aussi. Je ... je me sens mal. Et au lieu de me défendre corps et âmes comme tout être normalement constitué, je ferme les yeux et commence à prier silencieusement.

Tuer des zombies était devenu comme un exutoire pour la jeune Rémielle Black qui pouvait ainsi allègrement exprimer sa haine, sa rancœur et sa tristesse, sans que personne ne s'en doute, puisqu'ils la prenait tous pour une cinglée amatrice de décapitation. Grand bien leur en fasse, elle n'avait aucune envie de leur plaire, de quelques façons que ce soit. Elle n'était pas faite pour la communauté, elle le savait depuis de longues années déjà. La foule, les clans, tout ça, ce n'était clairement pas son truc. La solitude, par contre … Il fallait dire que tout les pseudo-partenaires qu'elle s'était trouvés étaient tous plus peureux et incapables de manier une arme les uns que les autres. Comme si elle se trimbalait avec une pancarte marquée : ' boulets, rejoignez-moi ! ' dans le dos. D'ailleurs, Barbie en était le parfait exemple. Petite blonde craintive qui ignorait tout de ce que Rémielle appelait la ' vraie vie ', elle avait accepté, sans bien savoir trop pourquoi, de lui apprendre à se battre. C'était toujours ce qu'elle faisait. Bien que Rémielle préfèrerait mourir plutôt que de l'admettre, protéger les gens, ça avait toujours été une seconde nature chez elle. Et puis, des gens qui vous regarde avec des yeux pleins d'admirations, ce n'est pas vraiment désagréable.
La jeune blonde balança son sac par-dessus la clôture, grimpa sur un arbre voisin et la franchit, raterissant souplement sur ses pieds. Passer par la porte d'entrée ? Pour quoi faire ? La facilité, c'ést tellement ennuyeux. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre. Elle était en retard, comme toujours. Enfin, Barbie devait s'y être faite à la longue. Depuis qu'elles s'étaient rencontrées, cette dernière ne cessait d'ailleurs de la suivre partout où elle allait et écoutait ce qu'elle disait comme si c'était Dieu qui s'exprimait au travers d'elle. Alors au début, elle avait tout tenté pour la faire fuir. Même la méchanceté avait échoué. Cette fille était pire qu'une sangsue. Et puis, petit à petit, Rémielle avait fini par l'apprécier. Son innocence, sa candeur, sa tendresse, ça la changeait un peu. Sauf que, parfois, Barbie changeait du tout au tout, sans que la jeune blonde ne saisisse pourquoi, devenant une blonde impétueuse et indomptable, sans craintes. Et puis, la seconde d'après, elle redevenait cette bonne vieille Barbie.
La jeune femme aperçut la vieille ferme abandonnée, leur point de rendez-vous. Étrange, son acolyte n'était pas là. Tout les sens en alerte, elle dégaina son CZ-75 et avança à pas de loup en direction de la porte qui, elle venait de le remarquer, était grande ouverte. Dans sa tête, elle imagina déjà le pire : enlevée et transformée par des zombies, c'était son cadavre animé mais sans vie qu'elle reverrait une dernière fois avant de devoir lui tirer une balle dans la tête pour abréger son calvaire. Elle l'avait déjà fait auparavant, tuer ceux qu'elle aime, elle savait qu'elle en était capable. Et puis, ce n'est pas comme si il lui restait beaucoup de chose à briser en elle.
Puis, soudain, Barbie jaillit hors de la bâtisse en bois, à tout allure et courut en regardant derrière elle. Plutôt étrange, comme stratégie, pensa Rémielle. Elle fuyait quelque chose, c'est certain. Sûrement un rôdeur qui l'avait prise par surprise. Et puis, alors qu'elle continuait sa course, elle heurta Rémielle, chuta au sol, ferma les yeux et commença à prier, comme si sa dernière heure était venue. La jeune blonde leva les yeux au ciel et vint se mettre en face d'elle. « Hé, Barbie, à quoi tu joues là ? Au cas où tu n'aurais pas remarqué, ça fait un bout de temps que Dieu n'en a plus rien à foutre de nous. Maintenant, tu relèves tes fesses du sol et tu viens me montrer ce qui t'as fait courir aussi vite. Si c'est un rôdeur et que tu ne t'es pas servie de ton arme, c'est que tu n'as rien assimilé de ce que je t'ai appris. Allez, viens, conclut-elle en lui proposant une main pour se relever. »