Mon père ? Je ne l'ai jamais connu. Ma mère ? Un vestige qui me ramène à la souffrance. A des douleurs violentes, comme des coups de couteau d'un être cher. Plusieurs en même temps, lourds et douloureux. Vous aimeriez même en crever, tant c'est insoutenable. Comme quelque chose qui brûle, un truc qu'on arrive pas à retranscrire. Un truc qu'on arrive pas à comprendre. Tu vois, c'est comme ça. La vie est une chienne, Dieu est un con. Dieu. Une invention des hommes pour ne pas perdre la raison. Ne l'ont-ils pas déjà perdu ? Comme si les moutons avaient réellement besoin d'un berger pour retrouver leur chemin. Comme s'il était assez clément pour offrir une vie normale à tous des terriens. Comme si ce ramassis de conneries avaient vraiment existé. Je n'ai jamais compris pourquoi les hommes avaient besoin d'une divinité pour avancer. Je n'ai jamais besoin de lui, moi. Et pourtant, je suis là. J'ai pas eu besoin de grand chose, tu vois. Un paquet de blondes et une bouteille de whisky. La clé du bonheur est finalement pas si loin qu'on le pense. Surtout quand on l'a fait tomber depuis longtemps.

Le bonheur semblait être une chimère, chez les Lewitt. Une chimère, grande et belle. Un cadeau que l'on avait posé tel un trophée trop poussiéreux sur une vieille étagère, comme un vestige d'une époque où la vie était belle. Où la vie était douce, sans encombre. L'ombre n'existait visiblement pas à cette époque de gloire. Elle était arrivée trop rapidement, sans prévenir. Le bonheur s'était finalement révélé être mirage, trop faux et puant la traitrise pour être vrai. Comme nous avions eu un jour le droit d'y toucher. Et pourtant. Et pourtant, ils en avaient sauvé, des vies. Mon père était militaire, au même titre que le reste de la famille depuis bien des générations déjà. Je n'avais pas échappé à cette tradition, moi non plus, contre le gré de sa mère. Je n'ai jamais connu son père, mort en voulant défendre une famille américaine. Mort pour sa patrie, dans le secret. Un secret lourd et pesant, que personne ne pouvait révéler. Pas de médaille pour mon père ; juste un cercueil de pin dans lequel on avait jeté un corps calciné et salé. Il n'avait rien laissé derrière lui, excepté la peine trop agressive de ma mère qui en tomba malade. Une maladie que j'avais du supporter, malgré mon jeune âge. De toute façon, je n'avais pas eu le choix. C'était ma mère, et je me devais de l'aider.


Et puis elle s'était éteinte. Comme une bougie trop usée, comme un espoir pas assez brillant. Comme une étoile qui tomberait du ciel. J'étais orphelin, à huit ans. Je n'avais pas de père, je n'avais plus de mère. J'étais seul, à un si jeune âge. J'avais eu la chance d'être pris sous l'aile d'un oncle plus ou moins lointain. Il s'était proposé pour assurer ma garde, et cela m'était franchement égal de savoir avec qui j'allais vivre. Je voulais un toit. Je voulais un lit, des bras forts et une épaule. Je voulais l'amour que la mort de ma mère m'avait arraché. Cet amour, je ne l'ai jamais retrouvé. Seule ma mère pouvait me le fournir, j'imagine. Mon oncle était un homme dur, mais je l'aimais. Il m'avait tout enseigné. Des plus grandes joies de la vie aux plus grandes peines. Et puis, je me suis engagé dans l'armée. J'étais fier. Fier de reprendre le labeur qu'un père inconnu et qu'une mère disparue avaient laissé. Je voulais reprendre le filon. Je voulais redorer le blason de ma famille, offrir au monde une nouvelle possibilité de s'en sortir. J'étais beaucoup trop naïf, à cette époque. Tout me semblait facile. Parce que c'est si facile, de croire que devenir un héros est un jeu d'enfant. Peut-être que finalement, c'en est un. Un jeu que seul les enfants savent faire. Un jeu dont on oublie les règles alors que l'on franchit le pas de l'adolescence. J'étais un héros raté et brisé.

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