Tout en haut d’un arbre sur une grosse branche, assise dos contre le tronc, j’attends. Le jour commence doucement à poindre et cela fait déjà plusieurs heures que je suis réveillée. Depuis que je vis au jour le jour dans les forêts, je ne dors que très peu, deux-trois heures grand maximum. Pourtant, je ne ressens pas de fatigue, mon corps s’est habitué à ce rythme que je n’aurais jamais pensé tenir un jour… J’évite la plupart du temps à penser au passé, à la vie et aux gens que j’ai perdus. C’est trop douloureux de revoir le visage de ma famille déformé par ce rictus qu’ont les zombis lorsqu’ils vous chassent, ce regard vide… Toutes les nuits, lorsque je ferme mes paupières, le visage de ma petite sœur Harlem me hante, je sens encore ce corps froid et rigide se jeter sur moi pour pouvoir me dévorer. Si je n’avais pas eu la présence d’esprit de la repousser, je serais sûrement morte moi aussi… J’ignore s’ils sont encore « vivants », s’ils se traînent quelque part dans Jacksonville ou si un survivant les a tués d’une balle dans la tête, d’un coup de batte ou que sais-je encore. Tout comme Maxime, qu’est-il devenu ? Il est sûrement mort à l’heure qu’il est… Loghann ? Je n’en sais rien, mort à tous les coups. Je passe une main sur mon visage pour chasser ces mauvaises pensées. Puis je regarde Bagheera qui dort sur la branche en face de la mienne, c’est mon seul compagnon. Pas bien bavard je vous le concède mais au moins il peut se nourrir sans mon aide, voir même me nourrir et lorsque je me retrouve dans des coins où il fait froid, dormir contre l’animal me procure une source de chaleur moins repérable qu’un feu. Quelques rayons de soleil commencent à traverser les feuilles des arbres, il est temps de reprendre notre route ! « Pssst ! Psst ! Baghee, debout ! » L’animal dresse l’oreille avant d’ouvrir ses paupières pour me regarder et bailler. Il aurait bien dormi plus longtemps, mais il ne cherche pas à « négocier » et descend de sa branche avec aisance. Je me détache du tronc avant de récupérer mon sac un peu plus haut et de retourner sur le plancher des vaches. Le système d’alarmes que j’avais préparé la veille est intact, personne n’est passé par là cette nuit. Je le démonte, récupère la ficelle que j’enroule soigneusement avant de la ranger dans mon sac à dos avec le restant de mes affaires. Des viscères de zombi entourent le périmètre, tout comme je me suis barbouillée de sang et de je ne sais quoi venant du corps du cadavre. Au début, l’odeur était difficile à supporter, je rendais toutes mes tripes à peine le zombi éventré. Mais c’est comme tout, on s’y fait et on finit même par l’oublier. Bon, j’exagère, il est impossible d’oublier l’odeur d’un cadavre en décomposition, mais c’est pratique pour passer inaperçu et donc pour ne pas se faire grignoter.Bagheera s’approche d’un morceau d’intestin appartenant à un zombi et le renifle précautionneusement. « Si j’étais toi, je ne boufferais pas ça. C’est plus que périmé si tu veux mon avis. » La panthère tourne la tête pour me regarder, oh je ne m’attends pas à ce qu’elle me réponde, c’est une conversation à sens unique. Mais cela me convient parfaitement, je ne tiens pas à parler, pour quoi faire ? C’est une perte de temps. A une époque je parlais tout le temps, aujourd’hui je suis peu loquasse voir quasi-muette. Je retire le k-way qui empeste le cadavre sans faire de manière, peut-être que certains le prendraient du bout des doigts, mais j’ai tellement eu du sang et autres dans les mains que ça ne me fait ni chaud ni froid. « Si on allait faire un brin de toilette qu’en penses-tu ? Après on fouillera le coin si on trouve des baraques ou cabanes de chasse à l’abandon. On trouvera peut-être des trucs intéressants. » Sans attendre l’accord de l’animal –de toute façon si je dois attendre je n’ai pas fini- je me mets en marche vers le grand étang un peu plus à l’ouest de ma position. Avant je n’avais pas du tout le sens de l’orientation, mais maintenant je peux dire que je gère la fougère ! ‘Fin c’pas pour me vanter hein ! Bagheera devant moi, j’avance lentement, écoutant les bruits de la forêt, attentive. Il serait dommage qu’un zombi me tombe sur le lard et me mange un bras ou une jambe qui me sont bien utiles. La panthère s’arrête soudainement, les oreilles dressées sur sa tête et s’élance. Je la suis en courant aussi vite que possible, bondissant au dessus des racines et tronc déracinés. Pourquoi s’est-elle mise à courir ainsi ? Un troupeau de zombi ? Je me risque à jeter un coup d’œil derrière mon épaule : rien. Bagheera se jette dans un buisson, je m’arrête venant soudainement de comprendre. Le fauve sort avec un gros lièvre dans la gueule qui a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. « Cette course pour un lapin ? Franchement t’abuses Baghee. » Dis-je en lui faisant les gros yeux, le fauve baisse son regard soumis. Puis je rigole, quand même soumettre une panthère faut le faire quoi ! Je m’approche de lui pour lui tapoter la tête. « Merci d’avoir attrapé le petit déjeuner ! » Je me remets en route toujours en direction du grand étang avec le gros chat sur les talons.Une fois arrivée au point d’eau, je laisse tomber mon sac à dos sur l’herbe et m’assois pour retirer mes chaussures de rangers. Je les ai trouvées il y a quelques semaines sur le cadavre d’un militaire, elles ne lui auraient plus servi de toute façon ! Dépouiller les morts est utile à la survie, puis d’façon quand on est mort on n’a besoin de rien ! Je ne vois pas pourquoi on laisserait tout intact par « respect », le cadavre va soit devenir un zombi soi bah se faire bouffer par un zombi. J’enlève mes chaussettes de marches, me lève pour retirer mon short et la chemise qui me colle à la peau pour me retrouver en sous-vêtements. Je rentre dans l’eau sans trop réfléchir en prenant ma chemise et mon k-way avec moi pour les frotter énergiquement. « Tu viens faire trempette mon minou ? » Bagheera me regarde, renifle l’eau et s’en éloigne comme s’il a peur de se faire brûler. Bah oui, l’eau c’est dangereux ! Débarrassée de l’odeur putride de cadavre, je sors et étends les vêtements « propres » sur l’herbe en plein soleil pour les faire sécher. J’enfile mon short et regarde le fauve qui louche sérieusement sur le lièvre tué quelques minutes plus tôt. « Mange-le va, je n’ai pas faim de toute façon. Je m’en voudrais de savoir que ton estomac cri famine ! » Je ris tout doucement quand les oreilles de la bête se dressent. Quelque chose approche. J’attrape mon pistolet dans une main, mon couteau dans l’autre et suis le gros chat discrètement laissant mes affaires derrière-moi. Bagheera grimpe sur un arbre, je le suis en coinçant mon pistolet dans mon soutien-gorge et mon couteau la lame entre mes dents. Aurait-il envie d’une attaque surprise ? Pourquoi pas ! L’animal s’arrête et regarde en bas, notre cible n’est plus en mouvement. Je n’arrive pas à discerner si c’est un humain ou un zombi, l’abruti à la tête baissée et il ne fait aucun bruit. Nous verrons bien. Je bondis de l’arbre pour tomber sur ma victime, plaçant l’arme à l’arrière de son crâne. « C’est simple, si t’es un zombi tu es mort. Enfin plus mort que maintenant. Si t’es pas un zombi mais que tu es infecté tu peux faire une dernière prière avant que je ne t’explose la boîte crânienne et qu’ensuite le gros chaton qui est juste devant toi mange tes restes. Et en dernier cas si tu n’es pas un zombi, que tu n’es pas infecté et que tu ne comptes pas me violer, me tuer et faire je ne sais quoi avec mon cadavre tu auras la vie sauve. » Oui, bon, si le mec était un zombi, je l’aurais senti et il serait déjà mort. « Bon tu comptes répondre oui ou non ? » Serait-il sourd ? Ou alors muet ? Non s’il était sourd il serait mort depuis longtemps. « Si tu as peur d’avoir mal, ne t’en fais pas tu ne sentiras rien, je ne suis pas une sauvage ! »