Je ne sais absolument plus comment je me suis retrouvée assise sur ce promontoire improvisé, face au chantier, avec une bouteille d'eau entre les mains. Je les observe faire. Je ne sais faire que ça, observer. A cause de ça et de ma mémoire qui, disons-le franchement, est excellente, je tiens un journal de bord que j'essaie de remplir tous les soirs au mieux, une fois par semaine au pire. Mais bon. Ce n'est pas ça qui va nous empêcher de crever un jour. Aux mains des zombies, aux mains d'un ami ou encore d'un ennemi... On est à l'abri de rien. Je repense aussi aux quelques personnes avec qui je partage un lien à Brazoria. Alexander et Emily sont vite expédiés, je n'ai pas envie de penser à eux, ça fait trop mal. Mikhail, évidemment, avec qui les choses sont de plus en plus bizarres. Stone, la blondinette qu'on a aidée sur le bord de la route l'an dernier et avec qui on a fait le chemin. Et puis... Et puis Sasha, le quadragénaire, le père de famille le putain de chieur trop curieux qui passe son temps à me poser des questions embarrassantes... et qui a eu la mauvaise idée de me sauver la vie lors d'un raid. Je fronce légèrement le nez. Je ne sais plus trop comment le considérer depuis lors. C'est vrai qu'il est remonté dans mon estime. Légèrement. J'essaie d'être plus conciliante avec lui, surtout qu'il est mon aîné de près de vingt ans, mais ses questions incessantes me mettent mal à l'aise. Et forcément, je réplique par la froideur et le cynisme qui m'ont été si bien appropriés. Mécanisme défensif.

« Coucou mon petit canari en sucre, comment tu vas bien ? » Quand on parle du loup. Je lui adresse un regard en coin agacé avant de reporter mon regard droit devant moi sans faire mine de lui accorder plus d'attention. Pourtant, je lui réponds. « Ca allait mieux quand vous n'étiez pas dans mon champ de vision. Et je ne suis pas votre canari en sucre. Aura, ou Leen si vous voulez, mais certainement pas un surnom aussi... niais. » Etonnant, n'est-ce pas ? Je le vouvoie. Réflexe. Dès que quelqu'un a une quinzaine d'années de plus que moi, il est bon pour le vouvoiement. « Tu fais quoi ? J’peux t’aider peut-être ? » Je hausse les épaules en baissant la tête sur le petit carnet ouvert sur mes genoux. Machinalement, je coince mes cheveux derrière mes oreilles, découvrant ainsi mon visage marqué par la fatigue. J'ai les traits tirés et des cernes presque noirs. « J'observe. C'est à peu près tout ce que je sais faire ici. Observer, donner des cours d'histoire aux mômes et m'engueuler avec quasiment tout le monde. » Je marque une petite pause. « Vous comptez encore m'emmerder avec vos douzaines de questions ? » C'est même pas un truc à demander, ça. C'est quasiment sûr qu'il va s'amuser à me harceler, encore. A croire qu'il a besoin de tout savoir sur tout le monde. Agaçant.