[justify][size=11]« MAIS BORDEL, QU’EST-CE QUE J’AI FAIT POUR AVOIR DEUX BOULETS COMME VOUS ! » Il crie. Il sait pourtant que lorsqu’il crie cela déclenche mes glandes lacrymales. Et ça ne coupe pas, deux petits sillons se creusent dans la boue qui couvrent mes joues. Pour la troisième fois en une quinzaine de minutes, je me suis étalée à grand fracas. Si encore j’étais silencieuse, ça irait mais c’est plus fort que moi, je glapis dès que mon pied dérape. Je le vois soupirer et se retourner en serrant les poings. Je sais qu’il compte jusqu’à dix dans sa tête en espérant que ça le calme. Je sais aussi que ça ne marche jamais alors je me prépare pour le sermon tout en me remettant cahin-caha sur mes pieds. Et ça ne manque pas, il se retourne, les traits toujours tirés. Instinctivement Seth fait un pas en arrière en apercevant son regard glacial et vient se placer derrière moi. Ce regard si bien surnommé la mort qui tue par Seth m’englobe totalement. Quelle chance, j’ai toute son attention. Pour une fois que justement, je n’en veux pas. Je détourne le regard mais je continue à le sentir sur mon visage qui essai de me transpercer. « Arrête de pleurer Kyra. » Sous le coup de la surprise, je tourne de nouveau la tête vers lui, la bouche grande ouverte, les yeux comme deux ronds de flan. Je m’attendais à un passage à tabac, à des cris, à ce qu’il tape du pied sur le sol ou même qu’il me laisse là avec mon petit paquetage mais ça, ce n’était même pas dans ma liste. Il s’approche, un sourire en coin aux lèvres et pose son doigt sous mon menton. Mon sang ne fait qu’un tour, je me crispe et ne bouge plus d’un pouce, les yeux fermés. Il va me tuer, c’est ça. C’est pour ça qu’il était sympa, parce que c’était la dernière chose qu’il allait me dire. Alors que je fais mentalement une prière à un Dieu quelconque pour qu’il m’accepte chez lui, il se met à rire. Il rit, ce gros con il s’apprête à me tuer et il a un fou rire. Je ne suis peut-être pas la personne la plus courageuse sur terre mais ça me fout en boule qu’il se mette à rire avant de m’éliminer. Du coup j’ouvre les yeux et je lui lance un regard mauvais. « Je voulais juste te fermer la bouche, c’est pas agréable de manger les mouches, tu serai capable de la ramener pendant des heures après. » Et il repart dans son fou rire, entrainant par la même Seth. Bordel, je les déteste, c’est officiel.

Je croise les bras et me mets à bouder dans mon coin les laissant se foutre allégrement de ma gueule comme si je n’étais pas là. « Non mais tu l'as vu se figer comme ça, comme si j’allais lui arracher la gorge ! » Et l’autre qui lui répondait. « Et ses petits poings tout serrés, je suis sure qu’elle calculait ses chances de s’en sortir. » J’adresse mon majeur à Ryan et frappe Seth avec mon poing tout serré. Bien sur il râle, il est encore plus chochotte que moi, ce qui décuple le rire de Ryan. Je le déteste. « Gros con. » Il semble enfin comprendre que je l’ai mal prit, voir même que si j’étais certaine d’avoir le dessus je lui aurais sauté dessus pour lui refaire le portrait. Il se calme mais son sourire ne disparait pas. « Si je voulais te tuer Kyra, je ne le ferai pas devant Seth, il mourrait de peur dans la minute. » Le dit trouillard râle silencieusement mais acquiesce du menton. Il a beau avoir raison, je ne trouve pas ça vraiment plus rassurant. « Je suis désolée de pas être Catwoman. » Mon ton est peut-être un peu plus rêche que ce que je voulais mais en réalité, je fais tout mon possible pour ne pas me mettre à pleurer dans mon coin. Merde quoi, je veux bien qu’on se foute de ma gueule mais il y a deux minutes j’ai vraiment cru que j’allais mourir. « Je ne t’échangerai contre personne Kyra. » Hum… C’est moi où ça ressemble vaguement à un compliment ? Si je n’en étais pas certaine, le moment gênant qui s’ensuivit où chacun observa à tour de rôle les deux autres personnes le confirma. Bon, dans ce cas. Bouder serait peut-être un peu trop exagérer. « Bon on y va ou pas ? » L’hôpital qui se fout de la charité, clairement mais je me remets en marche. De toute façon je me casserai surement la gueule bien assez tôt.

« KYRAAAA ! COURS ! » Merde, c’est le signal. Mon cerveau se met en branle immédiatement, ça veut dire qu’ils n’ont pas réussis à arriver jusqu’au magasin sans se faire prendre par les zombies. Ça veut dire qu’ils vont se faire dévorer dans trois secondes et que moi aussi si je ne me bouge pas. Ça veut dire que je vais me retrouver toute seule avec un chagrin comme la mer rouge et une culpabilité encore plus grande. Merde, merde, merde. Je répète ce mot comme si ça pouvait arranger la situation. En réalité j’en rêve, où est Bruce Willis lorsqu’on a besoin de lui hein ? Ok, je respire un grand coup, je me signe, ne sait-on jamais, si Bruce n’est pas là, peut-être que Marie pourrait être d’un quelconque secours et je me mets à courir. Il n’y a qu’une seule rue, une seule et ce sera fini, je peux y arriver, je le sais. Mon fouet à la main, je cours comme si j’avais les chiens de l’enfer au cul, ou comme si les deux hommes de ma vie aller mourir incessamment sous peu. Je débouche pile devant le magasin et effectivement, c’est la merde. En deux secondes, mes yeux captent vaguement la scène. Ryan semble blessé au bras droit et sa cuisse pisse le sang mais il se tient au dessus de Seth qui s’est roulé en boule par terre. Oh non, Dieu, faites qu’il ne soit pas mort, faites qu’il respire encore. Ils sont quatre. Quatre, c’est tout. Rien que quatre petits zombies. Tu peux le faire Kyra, c’est comme avec les tigres. Je respire vivement, inutile puisque je n’ai pas de souffle à revendre après ma course et me jette dans la mêlée. Si on doit mourir, ce sera ensemble. Ça fait six mois qu’on brave vent et tempête tous les trois alors ce sera ensemble ou rien. Je n’ai jamais autant voulu que ce soit rien de toute ma vie mais je n’avais plus le temps de réfléchir. Ma main bougeait et mon fouet claquait autour de moi. A un moment, les quatre zombies étaient debout et je regardai ma mort en face, celui d’après, j’avais du sang plein la figure, des plaies à n’en plus savoir quoi faire mais c’était terminé. A genoux sur l’asphalte je regardai autour de moi les zombies qu’on avait maitrisé pour le moment. Mon regard fut ensuite attiré par Ryan qui s’effondra au sol. Merde.

Je me précipite vers lui sans vraiment me relever ce qui devait donner quelque chose d’original mais il n’y avait personne pour le voir. J’enlève mon tee shirt et appui sur la plaie de sa cuisse pour arrêter le flot de sang tout en le noyant de paroles se voulant réconfortante. Il garda les yeux fermés mais desserra les dents. « Bordel Kyra, tu peux pas m’obéir juste une fois ? » S’il a la force de m’engueuler, c’est bon signe, je souris et me noie sous mes larmes. Je remarque Seth qui bouge et un poids s’enlève de mes épaules en le sachant vivant. « Tu m’as dit cours, c’est ce que j’ai fait. Chut maintenant, ça va aller. Seth bouge ton cul et viens m’aider. » Ce n’est pas le moment de se rouler en boule. C’est ma technique favorite mais là Ryan compte sur nous. C’est jamais arrivé alors il faut qu’on assure, pour tout ce qu’il a fait pour nous. Seth semble le comprendre puisqu’il se traine vers moi et s’occupe de la plaie de son bras. On fait tant bien que mal deux garrots et on l’oblige à se lever pour déguerpir d’ici. C’est trop dangereux, trop exposé, je savais qu’on aurait jamais du essayer de venir. Le trajet à la grotte m’a semblé être le plus long de toute mon existence. Ryan s’efforçait de ne pas peser sur nous mais il était plutôt conséquent et pour mon poids plume ce n’était pas évident. Pourtant, on a fini par l’allonger pour lui donner un peu plus de soins. Avec les maigres médicaments qu’il nous reste, on fait en sorte de réparer tout ça. Je vomis deux fois en le recousant, mon estomac n’étant pas assez accroché pour supporter une telle vision. Il finit par s’évanouir, la douleur ayant atteint son paroxysme. Seth s’est finalement recroquevillé dans un coin. Ryan a essayé de sauver le monde, enfin le notre, Seth joue a cache-cache avec le monde entier et moi j’essaie de ne pas devenir dingue. Bref, tout est normal.

La perspective de quitter la grotte met les nerfs de Seth à vif. Je le comprends, la dernière fois il a failli y passer, ça donnerait à réfléchir à n’importe qui. Moi, ça fait trois jours que je me dis qu’il faut y aller, on a presque plus rien à manger, on vit sur la réserve et on bouffe des groseilles depuis deux jours. Mais dès que je passe le seuil, une terreur indicible m’étreint. Je revois Ryan en train de se faire déchiqueter la cuisse, Seth, recroquevillé sur le sol. Je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas et ça me fous les boules à un point … « Kyra. » Je croise les bras sur ma poitrine, m’appuie à la paroi de la grotte et fixe le ciel depuis l’entrée. J’ai un faible espoir que faire comme si je n’avais pas entendu aller marcher. Tu parles. « Kyra. » Il m’appelle encore, cette fois un peu plus fort. J’aimerai continuer à faire semblant mais si ça se trouve il à besoin de quelque chose alors je me tourne. Un simple demi-tour, je ne m’approche pas. « Je vais y aller. » Un léger rire nerveux s’échappe entre mes lèvres tandis que je le regarde s’assoir. Il à l’air d’être passé sous un rouleau compresseur. Il arrive à peine à sortir de la grotte pour ses besoins naturels alors de là à aller chercher à manger. Et puis il y a de grandes chances pour qu’il souffre de stress post traumatique ou une connerie dans ce genre. « J’y arriverai. » Ma jambe se met à trembler, légèrement. En général ça indique que je suis stressée, ou à bout. En gros ça veut dire que je vais incessamment sous peu me mettre à chialer. Alors je tourne la tête, je passe déjà pour assez faible comme ça autant ne pas en ajouter. « Kyra. » Son ton est plus doux que la normale, il n’en faut pas plus pour faire surgir mes larmes. Merde, je suis une vraie chiffe molle c’est pas possible. Au point où j’en suis, je me permets de renifler sans la moindre élégance. « C’est pas grave Kyra. » Pourquoi il n’arrête pas de répéter mon nom ? C’est trop flippant, d’habitude lorsqu’il m’appelle c’est pour me gueuler dessus, là, j’ai presque l’impression qu’il appelle une sorte de divinité. Mais je ne suis pas Dieu, je suis rien qu’une gamine qui n’arrive même pas à subvenir à nos besoins. Mes larmes se transforment en sanglots et mes jambes finissent par ne plus vouloir me porter. Je m’attendais à faire plus ample connaissance avec le sol mais il me rattrape avant que je tombe et me fait assoir avec douceur. C’est déstabilisant, c’est étrange, c’est nouveau mais pourtant je me jette sur lui et enfoui mon visage au creux de son cou pour qu’il me serre un peu plus fort contre lui. Pour faire comme si tout allait bien, rien que quelques secondes pour faire comme si tout était normal. Je rêve qu’il me dise que tout va bien et que tout va s’arranger. Mais ce n’est pas un rêve, c’est la réalité. Notre vie est devenue un cauchemar.

Au bout de quelques minutes, ma crise d’hystérie semble enfin calmée. Les pleurs se sont raréfiés et je ne suis pas certaine que mon corps contienne assez d’eau pour me permettre de verser d’autres larmes. Ryan arrête de me caresser les cheveux et m’éloigne doucement de lui pour prendre mon visage entre ses mains. Elles sont si grandes que sa paume englobe la totalité de ma joue. « Tu nous a sauvé Kyra. Sans toi, on ne serait plus là, je ne serai plus là. » Son regard est un peu trop intense pour que je le soutienne, surtout que ses paroles sont ridicules. Alors je m’éloigne. Ses mains retombent sur ses genoux tandis que je me relève. « Sans toi on ne serait même pas là. Je serai morte dans la forêt où tu nous as trouvé avec Seth. Sans toi, on serait mort une quarantaine de fois si c’était possible. » Je secoue la tête, serre les dents et reprends ma place à l’entrée de la grotte. Ne plus le voir, surtout ne pas le regarder. Ne pas voir cette expression extatique sur son visage comme si j’étais devenue un héros. Non, je ne suis pas un héros, je suis juste une fille un peu déglinguée qui ne voulait pas être seule. « Je suis pas un héros Ryan, je suis un martyr, un putain de martyr. Vous alliez crever, je le savais et je me suis dit, s’ils ne sont plus là, tu seras toute seule ma vieille. Je me suis dit qu’on était ensemble depuis tellement longtemps que je pouvais pas survivre sans vous. J’étais persuadée que j’allais mourir. Je savais que j’allais mourir et pourtant j’ai couru quand même. Je voulais pas vivre toute seule, je ne pouvais pas imaginer de me retrouver toute seule. Ça ne fait pas de moi un héros, ça fait de moi une fille lâche et pathétique. » Je ne savais pas comment arrêter de parler alors j’ai tout dit. Je pensais en dire seulement un peu mais une fois sur ma lancée, je ne me suis pas arrêtée. Alors je continue, tant qu’à jouer à confessions intimes autant y aller à fond. « Je suis tellement pathétique que j’arrive même pas à mettre un pied en dehors de la grotte. Tu peux à peine marcher et pourtant te sens obligé d’aller chercher à manger à ma place parce que je suis pas capable de prendre soin de nous. Je suis qu’un boulet. Je suis qu’un PUTAIN DE BOULET ! Je sers à rien. » J’avais tord, j’ai encore des larmes à verser. Je lève les yeux pour tomber sur lui. Entre temps je me suis retournée pour lui faire face. Sans doute pour y voir le reflet de ma pauvre et misérable existence dans ses yeux histoire d’enfoncer le clou. « J’étais tellement paniqué que je me suis roulé en boule à même le sol en plein milieu de la bagarre. Moi je ne sers à rien Kyra mais toi. Toi tu nous as sauvés. » Voila que l’autre s’y met. « Bordel mais vous allez vous ôter ça de la tête ! On vous a fait un lavage de cerveau ou quoi ! JE NE SUIS PAS UN HEROS ! » J’appuie sur chaque mot tout en les regardant chacun leur tour pour bien leur faire comprendre.

Ça ne semble rien changer, ils se regardent de cet air typiquement masculin que j’ai apprit à identifier. C’est comme s’ils disaient à haute voix que j’étais chiante et insupportable mais qu’ils devaient faire avec. Ou peut-être pas vu que Seth finit par se lever. Merde, qu’est ce que j’ai raté, pourquoi eux ils peuvent communiquer par la pensée et pas moi ? « Je vais y aller. Parce que moi, je ne sers vraiment à rien. Il est tant que je grandisse un peu. » Un sourire contrit prend position sur ses lèvres tandis que je le regarde les yeux écarquillés. Au revoir la colère, bonjour la panique. « Non, non tu ne peux pas y aller. Laisse tomber Seth je vais y aller, je vais le faire, je vais y arriver. Il suffit juste que je respire un peu et c’est bon. C’était une petite crise, rien du tout, ça va passer, je veux dire c’était. » Il m’arrête en posant un doigt sur mes lèvres, un étrange sourire en coin aux lèvres. « C’est bon Ky, arrête de flipper comme ça. J’y vais. Tu n’es pas un boulet, sans toi, je serai mort au bord d’un ravin. Tu m’as aidé, tu ne m’as jamais crié dessus, tu n’as jamais rien dit. Mais je suis un homme et en nous sauvant comme ça, je me suis rendu compte que j’étais vraiment inutile. J’ai besoin de faire ça. Laisse-moi faire, d’accord. » La panique me submerge, je le regarde tout en jetant des coups d’œil à la dérobée à Ryan. Il ne peut pas le laisser faire, il ne peut pas être d’accord avec ça. « Ton inquiétude est palpable Ky et quelque part ça me fait plaisir mais ça va aller. Tout va bien se passer. » Ce n’était pas à lui de dire, c’était à Ryan. Mais ce dernier me regarde et hoche négativement la tête pour m’inciter à ne rien dire. Alors je me jette sur Seth, j’enroule mes bras autour sa taille et je le sers fort contre moi. « Sois prudent. » Il hoche la tête, dépose un baiser sur mon front avant d’attraper le sac à dos et de quitter la grotte. Juste avant de partir, il se tourne vers moi. « Je t’aime Kyra. » Un sourire apparait derrière mes larmes. « Je t’aime aussi Seth. » Et il s’en va. Comme ça. Il s’en va. Dieu. C’est trop difficile, je ne peux pas faire ça, il va se faire tuer, il va se faire déchiqueter en morceau et il ne reviendra jamais. La panique revient et je fais mine d’avancer pour aller le chercher mais Ryan m’attrape le bras. « Laisse le faire, il en a besoin. » Il en a besoin, il en a besoin ? C’est quoi cette excuse pourrie ? Il à besoin d’aller se faire massacrer c’est ça ? « Pourquoi tu l’as laissé partir ? Il a besoin de moi, il a besoin de toi, je vais le rattraper, je vais y aller avec lui, à deux on a plus de chance de. » C’est la panique qui parle et même si le fait qu’il répète plusieurs fois mon prénom pour me faire taire, les scénarios catastrophes s’enchainent dans mon esprit sans que je puisse les stopper jusqu’à ce qu’il m’oblige à le regarder dans les yeux. Son visage est proche du mien, trop proche. Retour à la case départ, ma tête entre ses mains. Près de lui j’ai l’impression d’être une poupée. Une poupée fragile qui marche sur un fil, prête à s’effondrer à tout moment. « Kyra calme toi. Il est assez grand pour se gérer lui-même. On l’a trop couvé, il a besoin de faire ses preuves. Ça va bien se passer. » C’est maintenant qu’il me sort cette connerie à deux balles. « Non, ça ne va pas bien se passer, il peut se faire encercler, il peut tomber sur un piège où il peut se casser la cheville en marchant sur une branche morte dans la foret. Il ne sait pas se servir d’une arme, la probabilité qu’il se tire une balle dans sa propre jambe est plus forte que celle qu’il réussisse à tuer un zombie et … » Il y avait peu de choses qui auraient pu me faire taire à ce moment là. Qu’il m’embrasse en était pourtant l’une d’elle.

Interdite, mon corps se fige tandis qu’il dépose ses lèvres sur les miennes, tendrement. Ça fait presque un an que je n’ai pas intimement connu d’homme, alors même si c’est Ryan, je finis par m’accrocher à lui. Surtout si c’est Ryan. Merde, d’où ça vient ça ? Non, non, non, ce n’est pas possible, je ne peux pas vouloir de Ryan comme ça. Et pourtant si mon esprit s’emballe réfute cette idée, mon corps lui s’est déjà préparé à l’inévitable. Mes lèvres s’étaient entrouvertes pour laisser passer sa langue qui s’entremêlait avec la mienne. Mes mains s’étaient d’elle-même retrouver sous sa chemise et mon buste se presser au sien comme pour me fondre en lui. Non, ce n’était pas bien, ce n’était pas possible. Haletante, je récupère mes mains et recule précipitamment jusqu’à toucher la paroi d’en face. J’ai du mal à reprendre mon souffle, j’ai l’impression que mon corps est en feu et réclame à grand cri qu’on le soulage. Je ferme les poings et finis par relever le regard pour croiser celui de Ryan. Vague copie du mien, enflammé, vivant, envieux. Alors mes digues cessent. Je débranche mon cerveau et lui saute dessus, littéralement. Mes jambes s’enroulent autour de son bassin tandis que ses mains se posent sous mes fesses pour me retenir. Nos lèvres se trouvent à nouveau, plus rien ne nous sépare que les quelques vêtements que nous avons sur le dos. Mon cœur bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il cherche un moyen de s’envoler. Mon corps appelle celui de Ryan tellement fort que j’ai l’impression d’imploser. Alors qu’il se faufile sous ma chemise pour caresser ma poitrine, mes dernières réserves lâches et je me laisse aller dans ses bras.

Je n’aime pas ce plan. En fait, je trouve que c’est le plan le plus pourri de toute l’existence. Même Indiana Jones s’il était là confirmerai que c’est une grande fumisterie. Mais voila, Seth n’en démord pas. Il a vu un mot qui confirmait l’existence d’un camp de résistant dans le Texas. Bref, là où on était. Ça fait longtemps que j’ai fait le deuil de l’humanité, j’ai compris qu’on était probablement les dernières personnes vivantes aux Etats-Unis et probablement au-delà. Certes, l’optimisme ce n’est pas mon truc mais s’il y avait des gens quelque part on le saurait non ? Ryan me serre la main, un sourire aux lèvres. Lui, ce héros solitaire, bourru au possible est persuadé que c’est réel, qu’on est pas seul. Pour le coup, je me sens minable de leur saper le moral comme ça mais rien de ce que je peux dire ne les fait changer d’avis. Il y a des survivants et ils ne parlent que de ça, jour et nuit. Ils n’en ont que pour le groupe qui se bat quelque part non loin d’ici. Et moi je déprime. Certes, si, et c’est un gros si, il y a des gens quelque part, qu’est ce que ça voudrait dire pour nous ? Bon, je reconnais, je ne pense qu’à moi en fait. Qu’est ce que ça voudrait dire pour moi. Je me suis habituée à eux, je les aime comme je n’ai jamais aimé personne, tous les deux. Mais je ne suis pas forte, je ne suis pas intéressante, je suis têtue et butée, j’ai bien consciente que si on retrouve la civilisation quelque part ils vont vite m’oublier. A cette perspective, mon cœur se serre et je récupère ma main pour entourer mon torse de mes deux bras. Je ne veux pas qu’ils me laissent. « Qu’est ce qu’il y a Kyra, t’as vu quelque chose ? » Je cligne des yeux plusieurs fois pour ne pas laisser tomber mes larmes en sachant ce que ça veut dire. Est-ce que t’as vu quelqu’un, quelqu’un d’autre. « Non. » Il continue à fixer l’horizon en faisant totalement abstraction de ma petite personne. Merde, il n’y encore personne et je suis déjà en train de les perdre pour un fantasme stupide. « C’est bon, on peut y aller. » Il n’y a personne sur la route et on ira plus vite si on sort de la forêt. Et puis si un camion benne m’écrase au passage ce ne sera pas très grave, ils s’en remettront vite maintenant que je ne compte plus.

Oh putain. Ils avaient raison, ils avaient raison, ils ont réussis. Je sais que c’est une bonne nouvelle, on est pas tout seul, on a peut-être une chance de survivre mais je n’arrive pas à me réjouir. C’est trop dur, quand je vois leurs yeux s’émerveiller à chaque personne qu’ils croisent, quand je les vois si heureux ça me sert le cœur. J’ai jamais été capable de les rendre heureux comme ça. Quelle saleté d’égoïste narcissique je fais. Je le sais mais je n’arrive pas à penser autrement. Ces gens, je les connais pas moi, je n’ai pas failli mourir avec eux, je n’ai pas passé quasiment toute une année en leur compagnie. C’est triste à dire mais s’ils mourraient aujourd’hui ils ne me manqueraient pas. Alors que Seth et Ryan… J’ai déjà l’impression de les avoir perdus de toute façon alors à quoi bon se torturer avec ça. « Il a l’air fort. » Un peu à l’écart des deux hommes en pleine conversation avec la foule qui s’est amassée sur la place, je sursaute en entendant cette voix féminine. Je tourne la tête vers elle et ne peut m’empêcher de la reluquer de haut en bas. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas vu d’autres femmes que j’ai toujours du mal à y croire. Elle semble le comprendre puisqu’elle me sourit gentiment. « C’est bien, on a besoin d’hommes forts pour les missions. » La panique montre doucement sa tête. Les missions, quelles missions ? On est venus ici pour être tranquilles pas pour risquer notre vie toutes les trois secondes. « Des missions ? » J’insiste sur le terme les yeux un peu trop écarquillés. « Et bien il y en a d’autres dehors, comme vous. » Non, non ils ne pouvaient pas ressortir, j’avais dans l’idée dans les cloitrer dans une cabane pour qu’ils ne sortent plus jamais. « Non, non, on ne peut pas faire de missions, Ryan ne peut pas y aller, il ne peut pas mourir. » Son sourire s’éteint lentement mais elle se met dans la tête qu’elle doit me convaincre et commence un petit laïus dont je ne devais pas être la première à bénéficier. A un moment, la colère prend le pas sur le reste et je me retrouve sans bien savoir comment avec le col de sa chemise dans ma main, mon visage près du sien à lui crier qu’il n’y aurait pas de mission. « J’AI DIT NON, C’EST TERMINE MAINTENANT, CA DEVAIT ÊTRE TERMINE BORDEL. » Toute l’angoisse accumulée ces dernières semaines ressurgit et mon poing menace de s’écraser sur la figure de cette femme.

Je n’ai pas le temps d’agir que deux mains puissantes m’agrippent les hanches pour me tirer en arrière. « LÂCHE MOI, LÂCHE MOI RYAN ! » J’avais eu le temps de m’habituer à la force de ses mains contre mon corps, à son odeur, à la texture de sa peau et savait exactement qui m’avait empêché de me prendre une dérouillée par cette nana presque deux fois plus grande que moi. Je ne peux pas m’empêcher de me débattre tandis qu’il m’amène un peu à l’écart sans faire attention à mes cris. « REPOSE-MOI. REPOSE MOI, TU M’AVAIS DIT QUE C’ETAIT FINI, TU M’AVAIS DIT QUE T’ALLAIS ARRÊTER DE RISQUER TA VIE POUR NOUS. TU M’AVAIS PROMIT MERDE. Tu m’avais promit. » Des larmes de rage mêlées de tristesse coulent sur mes joues tandis qu’il m’attire contre son torse dès le moment où j’arrête de gigoter. Je prends le temps de pleurer sur mon sort, peut-être un peu plus que nécessaire parce que je sais que maintenant qu’on est plus seuls ce n’est pas moi qu’il va rassurer. Quand enfin, le côté pathétique de la chose me semble trop inacceptable, je le repousse et recule d’un ou deux pas en séchant mes larmes. « C’est bon, tu peux me lâcher maintenant, je sais pas ce qui m’a prit. » Je crois qu’il ne comprend pas, qu’il n’a pas saisi que moi ça ne me fait pas plaisir d’être ici. « Kyra, écoute… » Ouais, ça met dans l’ambiance direct ces mots. « Toi et moi … » Je l’arrête tout de suite, incapable de l’entendre prononcer les mots qui suivent. « Je sais, tu pensais que j’étais la dernière femme sur terre, c’est pour ça que tu t’es laissé aller mais maintenant que je suis en sécurité tu vas pouvoir larguer tes boulets et risquer ta vie dehors pour ramener à manger à tout ces gens miraculés. J’ai saisi. » Si j’avais commencé ma tirade sur un ton qui se voulait neutre, ça n’a pas duré bien longtemps et l’animosité que je ressentais s’était très vite manifestée. Il essaye de répliquer mais encore une fois je ne lui laisse pas le temps. « C’est bon, tu me dois rien au final, tu nous as sauvé, tu nous as amené ici, félicitation. Tu es libre. » Je n’attends pas qu’il réponde et tourne les talons pour m’enfuir aussi loin que possible d’eux. Pour le moment, j’ai juste besoin d’être seule. Non, en fait, j’ai besoin de ses mains, de leurs mains à tout les deux mais si je ne peux plus les avoir, je préfère encore crever dans un coin.